Les attaques d’orques sur les voiliers : un phénomène croissant
Le 12 mai 2024, l’Alboran Cogñac, un voilier de 15 mètres, sombre dans les eaux du détroit de Gibraltar.
Cette histoire n’est pas un cas isolé, mais l’illustration d’un phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur depuis l’été 2020.
Les interactions entre orques et voiliers se multiplient, intriguant scientifiques et navigateurs, tout en soulevant des questions sur la cohabitation entre l’homme et ces prédateurs marins.
Dans le détroit de Gibraltar, le groupe de travail GTOA (Groupe de Travail sur les Orques de l’Atlantique) recense chaque année une douzaine d’interactions.
Ces rencontres, parfois spectaculaires, se sont progressivement étendues géographiquement, touchant désormais une zone allant du Portugal jusqu’aux côtes bretonnes.
La précision des interventions des orques est particulièrement frappante : elles ciblent spécifiquement les gouvernails, comme en témoigne Dan Kriz, un capitaine expérimenté qui a subi deux attaques.
Lors de sa dernière mésaventure en avril 2023, il décrit des cétacés agissant avec une méthodologie quasi chirurgicale, ne s’intéressant qu’aux safrans de son catamaran.
La chronologie des événements est révélatrice :
– Été 2020 : premières interactions significatives en Galice
– 2022 : premier naufrage documenté au large du Portugal
– 2023-2024 : multiplication des incidents, avec une extension géographique notable
Pourquoi les orques attaquent-elles les voiliers ?
L’énigme de ces comportements suscite de nombreuses hypothèses dans la communauté scientifique.
Christophe Guinet, biologiste et directeur de recherche au CNRS, a récemment apporté un éclairage nouveau en juin 2024.
Ses observations suggèrent que le jeu serait au cœur de ces interactions.
Cette théorie est corroborée par les images sous-marines captées par l’équipage du Walrus, navire de Sea Shepherd France, montrant des orques manifestant une curiosité dénuée d’agressivité lors d’une interaction de 45 minutes.
Cependant, une hypothèse plus sombre émerge autour de WhiteGladis, une femelle orque plus âgée.
Cette matriarche, blessée par une collision avec un bateau il y a quelques années, semble orchestrer les assauts de son groupe.
Sa présence récurrente lors des incidents – plus de 250 bateaux malmenés – alimente la théorie d’une forme de représailles.
Les spécialistes soulignent plusieurs facteurs clés pour comprendre ce phénomène :
– La nature sociale et curieuse des orques, organisées en groupes matrilinéaires
– L’intelligence exceptionnelle de ces cétacés, capables d’apprentissage et de transmission culturelle
– La présence saisonnière de thon rouge, leur proie principale, qui les attire dans ces zones de navigation
Pierre Robert de Latour, comportementaliste ayant une expérience unique avec les orques libres, rejette l’hypothèse d’une simple vengeance contre les pêcheurs.
Il met en avant la complexité des relations entre orques et activités humaines, notamment la facilitation paradoxale que représentent les pêcheries pour leur alimentation.
Cette analyse nuancée suggère que nous sommes face à un phénomène comportemental sophistiqué, mêlant potentiellement jeu, apprentissage social et adaptation à l’environnement maritime moderne.
Les conséquences des attaques d’orques sur les voiliers
L’impact de ces interactions entre orques et voiliers dépasse largement le cadre anecdotique.
Depuis 2020, quatre navires ont été coulés suite à ces rencontres, dont le dernier en date, l’Alboran Cogñac, un Sun Odyssey 519 de 15,75 mètres, qui a sombré en mai 2024. Le bilan matériel s’alourdit, créant une situation préoccupante pour les acteurs du secteur nautique.
Ces incidents ont des répercussions significatives sur plusieurs plans :
– Économique :
– Augmentation des primes d’assurance dans les zones à risque
– Impact sur les sociétés de location de voiliers
– Modification des routes de navigation commerciale
– Sécuritaire :
– Mobilisation accrue des services de secours maritimes
– Développement de nouveaux protocoles d’intervention
– Formation spécifique des équipages
La tension a atteint son paroxysme en août 2023, lors d’un incident grave impliquant le catamaran « Nakula ».
Des plaisanciers ont utilisé des armes à feu contre des orques, provoquant une vive réaction des associations de protection de la nature.
Sea Shepherd France, WeWhale Association et d’autres organisations ont immédiatement porté plainte, rappelant que les orques ibériques sont une sous-population en danger critique d’extinction, ne comptant qu’une trentaine d’individus.
Cette situation paradoxale met en lumière un conflit croissant entre protection environnementale et activités nautiques.
Les plaisanciers, confrontés à des dommages matériels importants et à des situations potentiellement dangereuses, se trouvent parfois démunis face à ces rencontres imprévisibles.
Comment gérer les attaques d’orques sur les voiliers ?
Face à la multiplication des incidents, experts et autorités maritimes ont développé un ensemble de recommandations et de solutions innovantes.
Les conseils de Pierre Robert de Latour, comportementaliste reconnu, sont désormais considérés comme la référence en cas de rencontre avec des orques :
1. Arrêter immédiatement le navire
2. Baisser les voiles
3. Désactiver le pilote automatique
4. Éviter toute vibration du safran
5. Rester calme et attendre que les orques s’éloignent
L’innovation technologique s’invite également dans la recherche de solutions.
Des fabricants de matériel nautique travaillent actuellement sur le développement de gouvernails renforcés et de systèmes de protection spécifiques.
Ces « safrans anti-orques » représentent un nouveau défi technique : comment concilier robustesse et performance nautique ?
Les autorités maritimes, quant à elles, ont mis en place plusieurs mesures :
– Cartographie en temps réel des zones à risque
– Système d’alerte précoce via VHF
– Création de corridors de navigation recommandés
Le GTOA (Groupe de Travail sur les Orques de l’Atlantique) joue un rôle central dans cette démarche. Ses objectifs sont doubles :
– Contribuer à la conservation des orques ibériques
– Assurer la sécurité des navigateurs
La recherche de solutions durables passe également par une meilleure compréhension du comportement des orques.
L’équipe du Walrus, navire de Sea Shepherd France, mène depuis 2024 une mission d’observation et de protection qui pourrait apporter des réponses cruciales.
Leurs observations sous-marines révèlent des comportements complexes qui pourraient permettre de développer des stratégies de prévention plus efficaces.
La gestion de ce phénomène nécessite une approche équilibrée entre :
– Protection d’une espèce menacée
– Sécurité des navigateurs
– Maintien des activités nautiques
– Innovation technologique
– Éducation et sensibilisation
Les experts insistent sur l’importance de ne pas céder à la panique.
Comme le rappelle Lamya Essemlali, Présidente de Sea Shepherd France : « Jamais une orque libre n’a attaqué un être humain malgré ce que laisse entendre une certaine presse racoleuse. »
L’enjeu est donc de trouver des solutions qui permettront une cohabitation harmonieuse entre l’homme et ces prédateurs marins fascinants.