La fin d’une époque : Les dernières orques du Marineland d’Antibes
Le bassin des orques de Marineland d’Antibes s’est dramatiquement vidé en l’espace de quelques mois.
De quatre majestueuses créatures marines qui enchantaient les visiteurs, il n’en reste plus que deux aujourd’hui.
Cette réduction drastique marque la fin programmée d’une ère qui aura duré plusieurs décennies dans le plus grand parc marin d’Europe.
Le décès d’Inouk en mars 2024, âgé de 25 ans, suivant de près celui de Moana en octobre 2023, à seulement 12 ans, a sonné comme un double avertissement.
Ces disparitions prématurées ont mis en lumière l’urgence de la situation pour les deux dernières survivantes : Wikie, 22 ans, et son fils Keijo, 11 ans.
Dans leur habitat naturel, les orques femelles peuvent vivre jusqu’à 80-90 ans, tandis que les mâles atteignent couramment 50-60 ans.
Ces chiffres contrastent fortement avec l’espérance de vie observée en captivité, où elle plafonne généralement autour de 30 ans.
Cette différence significative soulève des questions cruciales sur les conditions de vie en bassin.
La loi de 2021, qui entrera en vigueur le 1er décembre 2026, marque un tournant décisif.
Elle interdit définitivement les spectacles de cétacés en France, forçant les parcs comme Marineland à repenser totalement leur approche.
Cette législation, fruit d’une prise de conscience collective sur le bien-être animal, impose un délai qui pourrait s’avérer salvateur – ou fatal – pour Wikie et Keijo.
Les trois décès survenus en dix ans à Marineland illustrent la complexité de maintenir ces prédateurs marins en captivité :
– Un environnement restreint par rapport à leur habitat naturel
– Des interactions sociales limitées
– Des comportements stéréotypés liés au stress
– Une exposition à des pathologies spécifiques à la captivité
L’urgence d’agir : Un combat contre la montre pour sauver Wikie et Keijo
Face à l’échéance de 2026, deux options principales s’affrontent pour l’avenir de Wikie et Keijo. D’un côté, un transfert vers le Japon ou l’Espagne, solution préconisée par certains pour sa rapidité de mise en œuvre.
De l’autre, la création d’un sanctuaire marin, option privilégiée par les associations de protection animale et certains experts, malgré son coût estimé à 10 millions d’euros.
Le transfert vers un delphinarium japonais suscite de vives inquiétudes parmi les spécialistes. Plusieurs raisons expliquent leur opposition :
– Des standards de bien-être animal moins stricts qu’en Europe
– Un éloignement géographique compliquant le suivi
– Des installations parfois vétustes
– Une philosophie centrée sur le divertissement plutôt que sur le bien-être
L’entretien quotidien de ces mastodontes marins représente un défi logistique colossal. Chaque orque consomme environ 100 kg de poisson par jour, nécessitant :
– Une chaîne d’approvisionnement complexe
– Un contrôle qualité rigoureux
– Une équipe vétérinaire permanente
– Des infrastructures adaptées
L’inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) penche actuellement pour un transfert vers un sanctuaire en Nouvelle-Écosse.
Cette option, bien que plus coûteuse et complexe à mettre en œuvre, offrirait aux orques un environnement plus proche de leur habitat naturel, avec un espace vital considérablement augmenté et des conditions de vie plus adaptées à leur nature.
Le temps presse. Chaque jour qui passe dans leur bassin actuel représente un risque supplémentaire pour la santé de Wikie et Keijo.
L’association One Voice, qui suit leur situation depuis 2019, alerte régulièrement sur leur état de santé préoccupant.
Une expertise judiciaire est d’ailleurs en cours, avec une décision attendue du tribunal d’Aix-en-Provence le 29 octobre.
Le projet de sanctuaire français : Une solution d’avenir ?
L’idée d’un sanctuaire marin au large de Brest, portée notamment par Sea Shepherd, représente une lueur d’espoir pour Wikie et Keijo.
Ce projet ambitieux s’inspire des meilleures pratiques internationales en matière de réhabilitation des cétacés captifs.
La côte bretonne, avec ses eaux riches en nutriments et sa température adaptée, offrirait un environnement proche des conditions naturelles des orques.
L’aménagement d’un tel sanctuaire nécessite des travaux considérables, estimés à 18 mois minimum :
– Installation de filets de protection haute résistance
– Construction d’installations médicales spécialisées
– Mise en place de systèmes de surveillance sophistiqués
– Aménagement de zones de quarantaine et d’acclimatation
Pour qu’un sanctuaire soit viable, cinq conditions essentielles doivent être réunies :
1. Une superficie minimale de 100 hectares d’eau profonde
2. Une qualité d’eau irréprochable avec un renouvellement naturel constant
3. Une équipe vétérinaire permanente spécialisée dans les cétacés
4. Des infrastructures permettant un suivi scientifique rigoureux
5. Un plan de financement pérenne sur plusieurs décennies
Le défi financier reste majeur. Le fonctionnement annuel d’un tel sanctuaire est estimé entre 2 et 3 millions d’euros, comprenant :
– L’alimentation des orques (environ 73.000 kg de poisson par an)
– Les soins vétérinaires spécialisés
– L’entretien des installations
– Les salaires du personnel qualifié
– La recherche scientifique
Plusieurs pistes de financement sont envisagées, combinant fonds publics et privés :
– Subventions gouvernementales
– Mécénat d’entreprises
– Dons de particuliers
– Programmes de parrainage
– Revenus d’activités de sensibilisation à distance
Une course contre la mort pour éviter le pire
L’état de santé des deux dernières orques d’Antibes suscite une inquiétude grandissante. Les observations régulières menées par les associations de protection animale révèlent des comportements préoccupants :
– Mouvements stéréotypés répétitifs
– Périodes d’apathie prolongées
– Signes de stress chronique
– Problèmes dentaires récurrents
L’échéance de 2026 fixée par la loi apparaît comme un horizon à la fois proche et lointain.
Proche car le déménagement d’orques captives nécessite une préparation minutieuse de plusieurs mois.
Lointain car chaque jour passé dans les conditions actuelles représente un risque supplémentaire pour leur survie.
Le décès tragique de Moana en 2023 a servi de signal d’alarme.
Cette jeune orque de 12 ans présentait déjà des signes de détresse plusieurs mois avant sa disparition. Les leçons tirées de cette perte doivent guider les décisions actuelles :
– Nécessité d’une surveillance médicale renforcée
– Importance d’une intervention rapide aux premiers signes de détresse
– Besoin d’une transparence totale sur l’état de santé des animaux
– Urgence d’améliorer les conditions de vie immédiates
Trois scénarios se dessinent pour l’avenir de Wikie et Keijo :
1. Le scénario optimal : Un transfert rapide vers le sanctuaire de Nouvelle-Écosse, offrant :
– Un environnement semi-naturel
– Un espace vital considérablement augmenté
– Une expertise reconnue en réhabilitation
2. Le scénario intermédiaire : La création accélérée du sanctuaire breton, impliquant :
– Une mobilisation exceptionnelle des pouvoirs publics
– Un financement d’urgence
– Une coordination internationale d’experts
3. Le scénario redouté : Un transfert vers un delphinarium étranger, entraînant :
– Un maintien en captivité traditionnelle
– Des conditions de vie similaires aux actuelles
– Un risque accru pour leur santé
La décision finale devra prendre en compte non seulement les aspects logistiques et financiers, mais surtout le bien-être de ces deux êtres sensibles qui ont passé toute leur vie en captivité.
Leur survie dépend désormais d’une course contre la montre où chaque jour compte.
La situation des orques d’Antibes illustre un changement profond dans notre rapport aux animaux marins en captivité.
Au-delà du cas particulier de Wikie et Keijo, c’est tout un modèle de divertissement qui est remis en question, ouvrant la voie à de nouvelles formes d’interaction plus respectueuses avec ces magnifiques créatures marines.