La fin de l’ère des orques en France : pourquoi le transfert vers le Japon ?
L’histoire des orques de Marineland d’Antibes s’apprête à prendre un tournant décisif. Wikie et Keijo, les derniers cétacés du parc français, font face à un avenir incertain avec leur transfert imminent vers le Japon.
Ce déplacement soulève de nombreuses questions sur le bien-être animal et l’éthique des delphinariums.
La France a franchi un pas historique en novembre 2021 en adoptant une loi contre la maltraitance animale.
Cette législation interdit la détention et les spectacles de cétacés dans l’Hexagone d’ici 2026.
Une décision qui contraint Marineland d’Antibes à trouver une solution pour ses dernières orques.
Le Japon s’est rapidement positionné comme destination d’accueil. Les aquariums de Nogoya et Kamogowa ont proposé d’acquérir les orques pour la somme colossale de 6 millions de dollars.
Un montant qui illustre la valeur marchande attribuée à ces mammifères marins, mais qui soulève aussi des interrogations éthiques sur leur commercialisation.
Le dispositif mis en place pour le transfert témoigne de l’ampleur de l’opération :
– Déploiement d’une immense grue
– Installation de palissades noires autour des bassins
– Présence renforcée d’agents de sécurité
– Mobilisation de forces de police
– Préparation d’un Boeing 747-400F cargo
Les associations de protection animale suivent de près cette situation.
One Voice, notamment, souligne que les démarches administratives pour un tel transfert peuvent être expédiées en à peine deux heures, rappelant le précédent de Chouka, une orque transférée aux États-Unis en un temps record.
Des conditions de vie alarmantes : que risquent les orques au Japon ?
Le parc Kobe Suma Sea World, potentielle destination de Wikie et Keijo, fait l’objet d’une évaluation accablante par les experts.
La biologiste néo-zélandaise Ingrid Visser, référence mondiale dans l’étude des orques, a récemment inspecté les installations.
Ses conclusions sont alarmantes.
Les infrastructures japonaises présentent des lacunes majeures :
– Un bassin principal de seulement 40 mètres de long et 6,5 mètres de profondeur
– Une surface équivalente à huit fois la longueur d’une orque
– Quatre piscines dont une réservée aux soins médicaux
– Absence totale de zones ombragées pour les cétacés
Cette configuration contraste dramatiquement avec les besoins naturels des orques.
À l’état sauvage, ces mammifères marins parcourent plus de 100 kilomètres quotidiennement et plongent régulièrement jusqu’à 500 mètres de profondeur, parfois même jusqu’à un kilomètre.
Le rythme d’exploitation intensif impose aux orques jusqu’à cinq spectacles quotidiens.
Les représentations incluent des numéros considérés comme dégradants : dresseurs assis sur leur visage, surfant sur leur dos, ou les forçant à manipuler des ballons avec leurs nageoires.
L’environnement architectural aggrave leur situation.
Les bâtiments adjacents, peints en beige clair, génèrent un éblouissement constant.
Tandis que les gradins des spectateurs bénéficient de parasols métalliques et que les dresseurs portent des lunettes de soleil, les orques restent exposées en permanence à cette réverbération aggressive.
Les deux orques déjà présentes dans le parc, Stella et sa fille Ran2, présentent des signes inquiétants de mal-être :
– Comportements répétitifs anormaux
– Nage en cercles restreints
– Immobilité prolongée en surface
– Nageoires dorsales affaissées
– Lésions cutanées
– Comportements d’automutilation
Le Japon, eldorado ou enfer pour les orques ? Les enjeux du transfert
L’étude approfondie des conditions de vie des orques dans les delphinariums japonais révèle une situation préoccupante.
Le cas de Stella, une orque actuellement détenue au Kobe Suma Sea World, illustre parfaitement les conséquences dramatiques de la captivité dans ces installations.
Les séquelles physiques observées sont particulièrement alarmantes. Sur les 13 dents de sa mandibule droite, plusieurs sont usées jusqu’à la gencive et percées.
Cette dégradation dentaire n’est pas anodine : les orques possèdent, comme les humains, des terminaisons nerveuses reliées aux os de leur mâchoire. Les douleurs endurées sont donc considérables.
Ce phénomène, fréquent chez les orques captives, résulte d’un comportement compulsif : par ennui, elles mâchonnent obsessionnellement les structures métalliques de leur bassin.
D’autres signes de détresse ont été documentés :
– Régurgitation et réingestion de nourriture
– Comportements auto-destructeurs
– Agressions entre congénères jamais observées à l’état sauvage
– Décolorations cutanées anormales
– Stress chronique manifeste
Les experts sont unanimes dans leur évaluation. Lamya Essemlali, directrice de Sea Shepherd France, qualifie sans détour les delphinariums japonais de « pire du pire ».
Une opinion partagée par de nombreux spécialistes internationaux des cétacés.
L’aspect éducatif, souvent mis en avant pour justifier la captivité des orques, est particulièrement déficient dans ces structures.
Le parc se contente d’un simple panneau indiquant le nom de l’espèce en trois langues, sans aucune information sur la biologie, le comportement ou l’écologie de ces animaux fascinants.
En revanche, la mercantilisation est omniprésente : les orques sont déclinées en une multitude de produits dérivés, des casquettes aux cookies.
Quel avenir pour les orques ? Entre sanctuaires marins et réhabilitation
Face à cette situation critique, des alternatives émergent. Sea Shepherd France a récemment proposé un projet ambitieux : la création d’un sanctuaire marin au large de Brest.
Cette initiative représenterait une évolution majeure dans l’approche du bien-être des cétacés captifs.
Les sanctuaires marins offrent plusieurs avantages cruciaux :
– Un environnement naturel plus vaste
– Des stimulations sensorielles appropriées
– Une réduction progressive du contact humain
– La possibilité d’une semi-réhabilitation
– Un espace vital correspondant davantage aux besoins de l’espèce
Pour comprendre l’importance de ces sanctuaires, il faut considérer les besoins naturels des orques. À l’état sauvage, ces prédateurs marins :
– Parcourent plus de 100 kilomètres quotidiennement
– Plongent régulièrement à des profondeurs importantes
– Maintiennent des liens sociaux complexes
– Utilisent l’écholocation dans un environnement riche en stimuli
Le projet brestois attend toujours une réponse du ministère de la Transition écologique.
Cette solution représenterait un compromis éthique entre l’impossibilité d’une réintroduction totale et les conditions actuelles de captivité.
La question de l’avenir des orques captives dépasse le simple cadre de Wikie et Keijo.
Elle interroge notre rapport aux animaux sauvages et notre responsabilité collective envers ces êtres sensibles.
La création de sanctuaires marins pourrait marquer le début d’une nouvelle ère dans la conservation des cétacés, privilégiant leur bien-être plutôt que leur exploitation commerciale.
L’urgence de la situation ne fait aucun doute.
Chaque jour passé dans des conditions inadaptées impacte durablement la santé physique et psychologique de ces mammifères marins exceptionnels.
La décision concernant leur transfert au Japon ou leur placement dans un sanctuaire déterminera non seulement leur destin individuel, mais également l’orientation future de notre approche de la conservation des cétacés en captivité.