Dans les eaux froides du Pacifique Nord-Ouest, des orques menacées de disparition adoptent un comportement étrange et touchant : elles utilisent des algues pour se masser les unes les autres. Cette habitude, aussi poétique qu’énigmatique, bouleverse les habitudes sociales qu’on connaissait jusqu’ici chez ces cétacés.
Ce rituel, révélé par des observations récentes grâce à des drones, pourrait bien changer notre regard sur l’intelligence, la sensibilité et les liens familiaux qui unissent ces orques si particulières. Plongée dans un monde secret où le kelp devient un outil d’affection.
Des massages d’algues au cœur d’un rituel social méconnu
Les orques résidentes du Sud, une population très surveillée qui évolue entre les côtes du Canada et des États-Unis, viennent de dévoiler un rituel encore jamais documenté : l’« allokelping ». Observé pour la première fois entre avril et juillet 2024, ce comportement consiste à utiliser de longues algues brunes, appelées kelp, pour se frictionner le corps mutuellement.
Plus qu’un simple jeu, il s’agit d’une interaction lente, coopérative et répétée entre deux individus. L’un des membres du duo attrape un bouquet d’algues à la mâchoire et positionne les frondes sur son museau ou sa tête, pendant que l’autre l’aide à les faire rouler le long de son corps. Certaines sessions peuvent ainsi durer jusqu’à 15 minutes, dans une parfaite synchronisation.
Ce comportement n’est pas qu’une coquetterie ou une distraction. Selon les chercheurs, il remplit au moins deux fonctions : un rôle d’hygiène (retrait des parasites ou peaux mortes) et un rôle de renforcement du lien social, notamment entre individus du même âge ou apparentés. Une sorte de massage bien-être version orque.
Une utilisation inédite d’outils sociaux dans le monde marin
Auparavant, d’autres populations d’orques avaient été vues avec du kelp accroché sur le dos ou simplement flottant autour d’elles. Mais jamais une interaction aussi coordonnée et fonctionnelle n’avait été observée.
Grâce à des technologies d’observation plus fines, notamment les drones, les scientifiques ont enfin pu assister du ciel à ces chorégraphies aquatiques intimes. Ce qui apparaît désormais comme un nouveau type de toilettage social assisté par outil – un comportement très rare dans le règne animal.
🧠 À retenir — L’allokelping pourrait être un comportement culturel : il semble limité à cette population précise et transmis entre générations. Ce rituel met en lumière l’extraordinaire capacité cognitive des orques et prouve qu’il reste encore beaucoup à découvrir sur leurs modes d’interaction.
En termes biologiques, on parle ici d’« allogrooming avec outil », une forme avancée de soin mutuel que l’on retrouve chez certains primates… mais rarement chez les cétacés. Et quand l’outil utilisé est une plante vivante, récoltée en pleine nature, la chose devient encore plus fascinante.
Les « chapeaux de saumon » : un autre mystère culturel chez les orques
Aussi étonnant que cela puisse paraître, cette population d’orques n’en est pas à son premier comportement excentrique. Depuis les années 1980, les scientifiques ont été témoins d’un autre phénomène unique au monde : les orques résidentes du Sud s’amusent à arborer des saumons morts sur la tête, comme des couronnes ou des chapeaux.
Ce comportement, surnommé « salmon hats » par les observateurs anglophones, avait disparu pendant plusieurs décennies avant de réapparaître fin 2024 dans toutes les familles de cette communauté. Là encore, ni jeu, ni utilité alimentaire définie. Peut-être un jeu social, une forme d’échange symbolique, ou simplement une tradition…
Difficile à dire, tant l’esprit des orques demeure en grande partie un mystère. Mais selon la biologiste Deborah Giles, ces animaux disposent de régions cérébrales liées aux émotions et à la mémoire bien plus développées que chez les humains. De quoi envisager que de véritables cultures se transmettent entre générations, avec leurs propres rituels et codes sociaux.
Ces découvertes récentes nous obligent à reconsidérer la manière dont nous pensons l’intelligence animale — non plus seulement comme une capacité logique, mais comme une richesse affective et sociale.
Urgence biologique : une culture en péril
Si ces comportements sont aussi précieux pour la science, c’est qu’ils proviennent d’une population en danger critique : seulement 73 orques résidentes du Sud subsisteraient aujourd’hui, réparties en trois groupes familiaux (J, K et L pods). Leurs chances de survie à long terme sont minces.
Les causes ? Un déclin dramatique de leur alimentation principale, le saumon chinook, lui-même menacé, une pollution persistante de leur habitat et une pression sonore constante due au trafic maritime.
La rareté de ces orques fait de chaque découverte comportementale un trésor à préserver. Car si ces traditions se transmettent socialement, toute disparition d’individus expérimentés peut signifier la perte irréversible de véritables pans de culture animale.
Plusieurs mesures de conservation sont en cours : suppression de barrages, restauration des bassins de reproduction du saumon, limitation du trafic maritime dans certaines zones. Mais le temps presse : il s’agit non seulement de sauver une espèce, mais aussi de protéger une culture en mouvement qui nous renvoie à nos propres humanités animales.
📝 Cet article est inspiré de la publication originale :
The Strange Ways Southern Resident Orcas Socialize