Certaines baleines à fanons ont mis au point une stratégie de survie étonnante : chanter si bas que leurs prédateurs ne les entendent même pas. Ce phénomène, révélé par une étude de l’Université de Washington (source : ScienceDaily, 6 février 2025), bouleverse notre vision du monde sous-marin. Derrière le calme apparent des océans se cache une guerre acoustique invisible, où chaque note chantée peut signifier la vie ou la mort.
Et parmi les baleines, deux clans s’affrontent : celles qui fuient en silence, et celles qui chantent haut… pour mieux riposter. Décryptage d’un combat sonore insoupçonné, où la peur façonne la vie marine.
Deux stratégies opposées face à la menace des orques
Les orques, véritables super-prédateurs des mers, s’attaquent parfois aux baleines à fanons – ces géants qui filtrent le plancton à l’aide de fanons dans leur gueule. Face à eux, toutes les espèces n’adoptent pas la même tactique. Certaines fuient, d’autres se battent. Mais ce que révèle la science, c’est que leur façon de chanter trahit leur stratégie.
Le chant bas des baleines qui fuient
Les rorquals bleus, les rorquals communs, les rorquals boréaux, les rorquals de Bryde ou encore les petits rorquals ont un point commun : ils chantent à des fréquences extrêmement basses, sous les 100 hertz. Or, les orques sont incapables d’entendre en dessous de ce seuil. Ces baleines deviennent donc acoustiquement invisibles pour leurs ennemis.
Ces espèces sont connues pour fuir plutôt que se défendre, et leur morphologie les y aide : elles ont des corps fins, taillés pour la vitesse. Leur habitat naturel ? L’océan ouvert, loin des côtes, là où elles peuvent échapper rapidement à une menace.
Le chant audible des baleines qui se défendent
À l’inverse, les baleines franches, les baleines boréales, les baleines grises ou encore les baleines à bosse produisent des chants plus aigus, souvent au-dessus de 1 500 hertz. Ce sont ces baleines qui ont tendance à rester groupées et à se défendre activement contre les attaques d’orques, en particulier pour protéger les petits.
Leur corps plus massif, leur nage lente, mais leur grande manœuvrabilité leur permettent de former des cercles défensifs. Elles privilégient des zones côtières, moins profondes, qui facilitent les regroupements et rendent les attaques plus complexes pour les orques.
🧠 À retenir
La fréquence du chant des baleines n’est pas un simple détail acoustique. Elle révèle une stratégie de survie millénaire : fuir discrètement… ou chanter fort et se battre.
Pourquoi chanter peut être si risqué pour une baleine
Sous l’eau, le chant est essentiel à la reproduction chez les baleines. Il permet aux mâles d’attirer les femelles, de marquer leur territoire, ou même de synchroniser la reproduction au sein d’un groupe. Mais ce chant, aussi majestueux soit-il, peut trahir leur position aux oreilles des orques.
Un dilemme amoureux sous surveillance
Pour les espèces qui fuient, le chant reste vital. Alors, les mâles adoptent une astuce : chanter fort… mais dans des fréquences inaudibles pour les orques. C’est une forme de camouflage acoustique, appelé crypsis acoustique. Ils chantent longtemps, en répétant des séquences simples, afin que les femelles les retrouvent… sans se faire localiser par les prédateurs.
En revanche, les espèces qui se défendent chantent à haute voix et à haute fréquence. Leurs chants sont plus complexes, plus variés, mais aussi plus dangereux : chaque note peut être captée à plus de 10 km par une orque.
Une sexualité dictée par la peur
Ce dilemme influence même les lieux de reproduction. Les baleines du groupe « combat » se rapprochent des côtes, là où les défenses collectives sont possibles. Celles du groupe « fuite » se dispersent dans le grand large, privilégiant la discrétion et l’éloignement à la sécurité du nombre. Mais cela rend les rencontres amoureuses plus rares, car les distances à parcourir sont plus grandes.
Un monde sous-marin régi par la peur
Ce que montre cette étude, c’est que la peur de l’orque conditionne l’évolution, la reproduction, les migrations et même la culture sonore des baleines à fanons. L’océan est une arène invisible où le silence est parfois plus puissant que le rugissement.
L’acoustique, nouvelle arme d’évolution
Le professeur Trevor Branch, à l’origine de l’étude, a analysé la portée sonore des chants, la capacité auditive des orques et les comportements de fuite ou de défense. Conclusion : les baleines qui fuient ne sont généralement audibles que sur moins d’un kilomètre, contre des dizaines de kilomètres pour les autres.
Cette adaptation montre que le monde marin est aussi un monde de sons et de silences stratégiques. Et que certaines espèces ont littéralement modifié leur voix pour rester hors de portée des oreilles ennemies.
Une partition dictée par l’instinct de survie
La distinction entre les espèces qui fuient et celles qui se battent traverse tous les aspects de leur vie : alimentation, reproduction, communication, migration. Même leur morphologie semble sculptée par cette divergence de comportement. C’est une symphonie darwinienne où chaque espèce joue sa note en fonction du danger.