Ce superpouvoir écologique des baleines bouleverse la science des océans

À première vue, une baleine qui urine ne semble pas bouleverser l’équilibre de la planète. Et pourtant, selon une nouvelle étude publiée en mars 2025 par l’Université du Vermont (source : ScienceDaily), l’urine des baleines transporte des tonnes de nutriments vitaux sur des milliers de kilomètres. Ce phénomène insoupçonné façonne littéralement la santé des récifs coralliens tropicaux.

En France ou au Québec, où l’on pense souvent que les actions majeures se jouent à terre, ce rôle invisible joué par les géants marins dans le cycle des nutriments bouleverse notre regard sur l’écosystème marin mondial.

Le grand circuit caché des nutriments

Quand les baleines deviennent composteurs de l’océan

Les baleines à fanons comme les rorquals ou les baleines grises passent leurs étés à se gaver dans les eaux froides et riches du nord : Alaska, Islande, voire Antarctique. Elles ingèrent des quantités massives de krill et de hareng pour constituer des réserves de graisse.

Mais dès l’hiver venu, elles migrent vers les eaux chaudes pour se reproduire. Et c’est là que se produit un phénomène inattendu : elles relâchent une partie de ces nutriments accumulés, notamment via leur urine extrêmement riche en azote. Résultat : une véritable “autoroute biologique” relie les pôles aux tropiques.

Un seul rorqual peut libérer plus de 950 litres d’urine par jour lorsqu’il est en phase d’alimentation, soit plus de 500 fois la quantité moyenne d’un humain. Et ces rejets, transportés jusqu’à des zones pauvres en nutriments comme Hawaii ou le Costa Rica, constituent une source essentielle pour la croissance du phytoplancton – base de la chaîne alimentaire marine.

Une concentration étonnante dans les zones de reproduction

Le phénomène est encore plus frappant dans les zones où les baleines mettent bas. En Hawaii, par exemple, les chercheurs ont calculé que l’apport en nutriments via les baleines double celui généré par les courants locaux.

Pourquoi ? Parce que les cétacés se rassemblent dans des baies peu profondes, protégées, où les femelles peuvent allaiter et communiquer en toute discrétion. Ces zones agissent comme des entonnoirs : les nutriments accumulés sur des milliers de kilomètres se retrouvent concentrés dans des zones restreintes, renforçant les écosystèmes locaux.

🧠 À retenir
Les baleines transportent chaque année près de 4000 tonnes d’azote depuis les pôles vers les tropiques. Leur urine, leurs peaux mortes et autres rejets créent un fertilisant naturel essentiel pour la vie marine tropicale.

Des migrations titanesques pour un impact planétaire

Une épopée énergétique hors du commun

Les baleines n’ont pas seulement une taille hors norme : elles effectuent aussi les plus longues migrations du règne animal. Certaines parcourent jusqu’à 7000 kilomètres sans se nourrir, comme les baleines grises entre la Russie et le Mexique.

Pendant ce voyage, elles puisent dans leurs réserves, brûlant jusqu’à 90 kg de graisse par jour. Et elles continuent à uriner. Ce simple acte biologique devient alors un levier écologique : elles redistribuent dans les tropiques les nutriments accumulés dans les eaux froides.

Des effets bien plus importants autrefois

Avant la chasse industrielle du XIXe siècle, les populations de cétacés étaient bien plus nombreuses. Les chercheurs estiment que l’effet fertilisant des baleines à cette époque était trois fois supérieur à celui mesuré aujourd’hui. Le rôle écologique des baleines bleues, par exemple, reste encore mal quantifié en raison de leur raréfaction, mais il pourrait être gigantesque.

Des super-pouvoirs encore sous-estimés

“Les plantes sont les poumons de la planète. Les baleines, elles, en sont le système circulatoire”, affirme Joe Roman, biologiste et co-auteur de l’étude. En transportant l’azote, le phosphore ou le carbone sur des milliers de kilomètres, elles redistribuent la vie là où les courants océaniques échouent. Un rôle que seul un être vivant aussi massif et mobile peut accomplir.

Protéger les baleines, c’est protéger les récifs coralliens

Une urgence écologique méconnue

Les zones tropicales comme la Polynésie, la Guadeloupe ou les Seychelles sont souvent pauvres en nutriments. Or, ce sont aussi les endroits où se développent les plus beaux récifs coralliens… à condition qu’ils soient nourris.

En injectant des nutriments, les baleines rendent possibles la croissance du plancton, base de l’alimentation des poissons, des requins, et même des tortues. Sans elles, ces écosystèmes risquent de s’effondrer silencieusement.

Un appel à revoir les politiques de conservation

Si l’on considère les baleines comme des vecteurs écologiques majeurs, leur protection devient non seulement une priorité éthique, mais aussi une nécessité écologique globale. Réensauvager les océans, c’est aussi réactiver cette circulation vitale de nutriments à l’échelle planétaire.

La France, qui accueille chaque année des cétacés dans ses eaux (notamment dans les DOM-TOM), a un rôle à jouer. Soutenir les sanctuaires marins, interdire les collisions avec les cargos ou réguler le bruit sous-marin pourrait aider à redéployer ce réseau naturel d’une efficacité redoutable… et totalement gratuite.

Source : Étude publiée par l’Université du Vermont et relayée par ScienceDaily le 10 mars 2025 : “Migrating baleen whales transport high-latitude nutrients to tropical and subtropical ecosystems” (Nature Communications)

✍️ Cet article a été rédigé par Thomas M. ( passionné de cétacés)

Thomas suit les orques depuis plus de 10 ans. Il connaît par cœur les différences entre un épaulard et un globicéphale, les migrations des pods du Pacifique Nord, et les questions qu’on lui pose toujours (« Mais… c’est vraiment des baleines ? »).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Avec le code PASSION ORQUE - 20% sur votre Commande

X