Elles pourraient vivre jusqu’à 130 ans. Mais au large des côtes américaines et canadiennes, leur vie s’arrête bien plus tôt. C’est l’un des paradoxes les plus tragiques de la conservation marine.
Une nouvelle étude publiée dans Science Advances (source : Mongabay, janvier 2025) révèle que les baleines noires de l’Atlantique Nord — l’une des espèces de cétacés les plus menacées au monde — ont un potentiel de longévité hors norme. Mais dans les faits, leur espérance de vie est aujourd’hui dramatiquement écourtée par l’activité humaine.
Une longévité théorique qui frôle les 130 ans
Des records passés inaperçus
Dans les années 1990, des recherches avaient déjà montré que les baleines boréales, parentes proches des baleines noires, pouvaient atteindre les 200 ans. On a même retrouvé des pointes de harpons du XIXe siècle dans leur graisse, preuve qu’elles avaient survécu plus d’un siècle après avoir été chassées.
Ces travaux ont inspiré une nouvelle vague de recherches sur les baleines franches (genre Eubalaena). Résultat : leur espérance de vie naturelle serait aussi remarquable — jusqu’à 130 ans, selon les données les plus récentes.
Mais une réalité bien différente pour les populations du Nord
Les baleines noires de l’Atlantique Sud vivent globalement plus longtemps. D’après les modèles de survie appliqués aux données de terrain, environ 10 % d’entre elles atteignent 132 ans. En revanche, pour leurs cousines du Nord, ce chiffre chute à 47 ans. Et la moitié des individus ne dépasse même pas 22 ans.
🧠 À retenir
Les baleines noires pourraient vivre aussi longtemps que des tortues géantes, mais meurent souvent avant 30 ans dans l’Atlantique Nord. Leur destin est en grande partie dicté par l’environnement hautement industrialisé dans lequel elles évoluent : collisions avec des navires, enchevêtrements dans des engins de pêche, bruit sous-marin intense.
Les menaces invisibles qui les condamnent à une mort précoce
Filets, casiers, hélices : les pièges du quotidien
Entre 2003 et 2018, 88 % des décès de baleines noires identifiés étaient liés à des causes humaines. Parmi les cas les plus fréquents : les enchevêtrements dans les lignes de pêche, notamment celles utilisées pour le crabe et le homard, et les collisions avec des navires.
Des chercheurs comme Greg Breed (Université d’Alaska) estiment que ces facteurs expliquent presque entièrement la différence d’espérance de vie entre les deux espèces. Et cela malgré leur proximité génétique et leur biologie quasi identique (même âge de maturité, même cycle reproductif, etc.).
Une reproduction devenue trop lente
Les femelles devraient donner naissance à un petit tous les 3 à 4 ans. Mais sous l’effet du stress environnemental, cet intervalle s’allonge désormais à 6 ans ou plus. Résultat : la population peine à se renouveler.
Selon les chercheurs, pour simplement se maintenir, ces cétacés devraient au contraire produire un petit tous les 4 ans au maximum. Un rythme aujourd’hui incompatible avec les conditions de vie réelles dans l’Atlantique Nord.
Une disparition annoncée si rien ne change
Une espèce au bord du gouffre
Il ne resterait que 370 baleines noires de l’Atlantique Nord. Pour beaucoup de biologistes, l’heure est grave. Philip Hamilton, spécialiste de ces baleines depuis 40 ans, parle d’un point de bascule. Le biologiste Greg Breed est encore plus catégorique : « Dans la communauté scientifique, personne ne croit qu’elles vont survivre. »
Et pourtant, tout indique que leur sort n’est pas scellé par la nature, mais bien par notre mode de vie industriel.
Une mer devenue hostile
Des chercheurs canadiens et américains observent ces cétacés depuis les airs (avions, drones, hélicoptères), les identifient grâce à des zones calleuses uniques sur leur tête, et suivent leur état de santé. Grâce à ces données, les courbes de survie sont claires : le danger vient de l’homme, pas de l’océan lui-même.
L’Atlantique Nord est aujourd’hui l’un des environnements marins les plus hostiles au monde pour une grande baleine. Et pourtant, ces animaux ont tout pour devenir les doyens des mammifères marins, capables de vivre plus d’un siècle si on leur en laisse la chance.
Des décisions humaines décisives
Kevin Healy, écologue quantitatif en Irlande, rappelle que les modèles mathématiques sont aujourd’hui la seule méthode éthique pour estimer l’âge des cétacés. Car disséquer une baleine fraîchement morte pour en tirer des données reste rare — et moralement inacceptable.
Les projections sur la longévité doivent donc être affinées dans les décennies à venir. Mais les tendances sont déjà suffisamment claires : les baleines noires du Nord meurent jeunes, non pas par nature, mais à cause de nous.
🧠 À retenir
Les baleines noires de l’Atlantique Nord vivent dans un océan devenu trop dangereux pour elles. Leur espérance de vie, qui pourrait dépasser les 100 ans, s’arrête bien avant l’âge adulte chez beaucoup d’individus. Sans changement radical, leur extinction semble inévitable.
Source : Mongabay (Edward Carver, janvier 2025)
Étude principale : Science Advances, décembre 2024 (Breed et al.)
Autres sources : Canadian Journal of Zoology (1999), Diseases of Aquatic Organisms (2019)
✍️ Cet article a été rédigé par Marine L. (Journaliste marine & amoureuse des océans)

Marine documente la vie des orques depuis 12 ans entre Norvège et Canada. Fidèle à son prénom, elle connaît par cœur les saisons de hareng, les codes vocaux des différents pods, et les questions qu’on lui pose toujours